dimanche 26 mai 2019

Traversée vers le Groenland


Nous avons parcouru une bonne centaine de milles depuis la sortie du Isafjord. Globicéphales, dauphins et fulmars à gogo. La température de l’eau passe de 10 degrés à environ 2 degrés: on touche le courant arctique. Brume épaisse, on avance au radar. Après un beau bord de travers, la nuit se finit au moteur. 



Le 21 juillet, nous observons les premiers icebergs, littéralement des montagnes de glace, observés à 100 milles des côtes Groenlandaises. Il sont entourés de brume, ce qui renforce leur coté mystérieux. Quelques pêcheurs aussi. Plus plus rien jusqu’à 40 milles des côtes, où se succèdent icebergs et growlers. Le radar, réglé finement, s’avère bien utile pour repérer ces derniers. 



À l’approche des cotes, vue magnifique sur la chaîne de montagne au Nord d’Angmagssalik depuis le large. Reste la bande de glace à passer et on y sera…


L’approche dans la glace assez délicate, mais surtout très impressionnante. Cela commence par une densité d’icebergs et growlers qui augmente. Puis arrive un moment où il ne suffit plus de modifier le cap du pilote par coups de +/-10 deg, mais où il faut être en permanence la barre et trouver son chemin dans la glace. La stratégie générale (contourner le cap Dan par le Sud) est donnée par les photos satellites et récentes cartes des glaces que l’on nous décrit par SMS (les télécharger par iridium est infaisable car le débit est trop faible). La tactique exacte, elle, dépend elle des observations in situ.

Debout sur le rouf, la bôme, ou assis dans le mat, on cherche de potentiels chenaux. Une densité de glace “gérable” ne dépasse pas les 30%. À 20%, on a déjà un petit sentiment de claustrophobie, imaginez vous en train de manœuvrer dans un port bondé... On se demande combien de temps tout cela va durer, car il est impératif que les conditions météo restent bonnes pendant le passage de la glace: peu de vent (pour éviter les mouvement des growlers) et bonne visibilité.

La coque alu encaisse les chocs avec la glace. Le bruit sourd qui en résulte nous parait d’abord impressionnant, mais il deviendra routinier, et, à la fin du voyage, il faut l’avouer, presque addictif.

La glace est dense. Nous nous faufilons entre deux beaux growlers. Passage chaud avec juste la place pour laisser passer le bateau. Concentrés sur le passage, c’est au dernier moment que l’on repère un phoque qui se prélasse sur l’un des deux growlers. Nous passons à 10m de lui, sans que cela ne déclenche autre réaction de sa part que de nous suivre calmement du regard. Vision surréaliste qui déclenche l'hilarité générale du bord... surtout que la fatigue commence à se faire sentir. On est au petit matin après une nuit stressante et sans sommeil.

La glace est passée. On est le second voilier à arriver au Groenland Est cet année. Le premier étant skippé par un équipage professionnel Islandais. Pas peu fiers!

Une baleine à bosse apparaît trois fois puis sonde queue en l’air à 50m du bateau. Majestueux. Bienvenue au Groenland.

jeudi 16 mai 2019

Isafjordur, et les fjords du Nord Ouest de l’Islande




Arrivée à Isafjordur

Port de pèche, sur joli fond

Depuis Isafjordur, vers le Nord

Le 11 juillet, notre petit avion à hélices se pose à Isafjordur, après une approche impressionnante en piqué entre les montagnes. Isafjordur est la principale ville du Nord-Ouest de l’Islande, et le principal point de départ pour ceux qui partent explorer le Groenland Est.

Nous retrouvons Eric et Olena à bord de S/Y Celena, leur fier destrier. (voir les articles sur Svalbard, par exemple). Nous serons quatre à bord du 44 pieds pour cette aventure.

Les premiers jours sont consacrés à l’avitaillement (conséquent), à la préparation du bateau et de la navigation. Notre objectif est le Scoresbysund, plein Nord, juste au Sud du “pays d’Eric le Rouge” (sur la carte de l’article précédent, c’est tout au nord). Problème: bien que nous soyons mi-juillet, cette grande baie est encore partiellement recouverte par la glace, et son entrée bien bouchée. Alors qu’en 2016, tout était libre début fin juin, soit 15 jours plus tot... Nous guettons donc les cartes établies par l’institut météorologique danois, et mises à jour environ deux fois par semaine, sur base de photos satellites. Pour info elles ressemblent à ça:

Example de carte des glaces pour la région de Tasilaaq.

“Pour patienter”, nous partons explorer les fjords de l’extrémité Nord Ouest de l’Islande, très difficiles d’accès par la route, et donc très sauvages. En particulier les bras du fjord du Joekul, que l’on voit sur la carte suivante.


Vue générale de la pointe Nord-Ouest, et du fjord d'Isafjordur (la ville est sur son bord Sud)

Détail des bras de fjord de la partie Nord.



Nous commencons par Heysterarfjordur (13-14 juillet). Il y a de la vie! Dans l’eau tout autour de nous, des milliers de petites méduses de 2cm de diametre environ. Dans l’air, guillemots, macquareux, fulmars. Depuis le mouillage on observe un renard arctique, brun à la queue blanche. Rando dans la cuvette glacière autour de notre mouillage: névés et petites fleurs multicolores (qui ont du mérite de bien vouloir pousser ici). On observe de nombreux kairns qui balisent un sentier de randonnée. Vu leur faible espacement (50m-100m), on se dit que quand il fait mauvais ou brumeux par ici, c’est du sérieux!

C'est parti!

On se baigne?
Vérification du mouillage, un peu frais pour un 13 juillet!
Equipage prêt pour l'ascension
Heysterarfjordur
Kairns balisant la route
 
Pour raisons techniques (problème d’alternateur d’arbre d’hélice), nous rentrons sur Isafjordur. Conditions tip-top, 20 nœuds au travers, GV haute et trinquette. Pendant l’attente, nous faisons la connaissance de personnages hauts en couleurs. Entre ceux qui vont attaquer la glace en solitaire (Thoé le Belge, et Troll l’Anglais), et les familles nombreuses aventurières (Top-to-top, assez incroyable...).

Le 18 juillet, la météo des glaces sur la Cote Est du Groenland n’est toujours pas favorable, nous repartons vers les fjords, explorer Lonafjordur cette fois. Nous mouillons dans la partie Est du fjord (voir carte ci dessus, c’est deux fjords plus à l’Est que le précédent). Le vent forcit à notre arrivée. On décide donc de ne pas laisser le bateau seul au mouillage. Nous partons en ballade avec Marie sur les pentes alentours, avec Olena et Eric en veille sur le bateau. Retour au bateau dans 40 noeuds. Excellente tenue du mouillage. Faut dire qu’on avait 70m de chaine dans 8m d’eau :-)




 
19 juillet. Récupération d’une nouvelle carte des glaces. Le Scoresbysund est maintenant accessible, mais il est si tard que faire autant de Nord maintenant nous forcerait à tartiner pour avoir notre avion retour à Kulusuk (au plein Ouest d’Isafjordur) le 4 aout. Le Kangerlusuaq, autre destination qui nous tentait, un peu plus au Sud, est toujours bouché. Et il est difficile de prédire s’il se libérera pendant notre traversée. Reste la partie sud autour d’Angmagssalik (Talisaaq) qui se libère.

La fenêtre météo pour Angmagssalik est correcte. Des bonnes conditions de vent et de mer pour traverser, et une arrivée dans la glace prévue avec peu de vent. On met le cap plein Ouest. On approchera Cape Dan par le Sud, où la glace est moins dense...

mardi 14 mai 2019

Été 2017 – Côte Est du Groenland


(...avec petit détour par les fjords du Nord Ouest de l’Islande)

Les deux dernières années ayant été plutot chargées, ce blog a été négligé. Mais nous avons fait une petite ballade digne d’être rapportée ici: une petite virée au Groenland Est, depuis l’Islande, à l’été 2017. Nous trouvons enfin le temps de vous la raconter.



Vue d'ensemble Islande/Groenland. Repérer Angmagssalik (Groenland) et Isafjordur, notre point de départ (Islande)

Petit topo sur le Groenland Est.

Le Groenland est la plus grande ile du monde. Y vivent moins de 60 000 habitants, répartis pour 90% sur la cote l’Ouest, et pour 10% sur la cote Est. L’intérieur est recouvert de glace. La “grande ville” de la cote Est et Tasililaq (aussi connue sous le nom d’Angmagssalik) avec un peu plus de 2000 habitants. Autant dire qu’il n’y a pas foule sur cette cote.

90% des habitants du Groenland sont des inuits, et 10% des Européens ou descendants, avec une proportion d’Européens encore plus faible à l’Est.

L’ile a été litterallement découverte par le viking Eric le Rouge aux alentours de l’an 1000, sur la route qui l’amena, depuis l’Islande, à Terre Neuve (tout ca, donc, bien avant Christophe Colomb et John Cabot, voir notre article). Les viking y restèrent quelques siècles, avant de deserter l’ile, pour des raisons pas très claires. Les inuits, eux, arrivent vers 1300.

Le Groenland fut bien plus tard (XVIIIe siècle) colonisé par les Danois, mais ces derniers lui portent un intérêt variable, malgré sa position militaire stratégique (peut-être parce que la balace commerciale est très en défaveur du Groenland...). On observe aujourd’hui un transfert progressif de l’autorité vers le parlement groenlandais , qui siège à Nuuk. Les Danois assurent encore, pour l’instant, la défense et la diplomatie.

Petit détail historique intéressant pour nous. La Norvège (d’où provenait Erik le Rouge) a essayer de repiquer un bout du Groenland Est (nommé “le pays d’Erik le Rouge”, juste au Nord du Scoresbysund, voir la carte). Ca s’est passé aux début des années 1930. Une expédition menée par Helge Ingstad, un explorateur norvégien*, est tout simplement allé s’y installer pour plusieurs hivers. Avant de se faire mettre à la porte, par décision du tribunal international de la Hague.

La destination prévue pour notre ballade était justement le Scoresbysund. Mais tout ne se passe pas toujours comme prévu...

à suivre!

*qui a donné son nom à la tristement célèbre frégate qui a percuté à 20 noeuds un tanker qui passait par là, et a coulé...