lundi 23 mai 2022

Bilan du voyage - Est Groenland

Fin du voyage


Le 2 aout, nous retournons à Kulusuk pour prendre notre avion pour l'Islande et nous envoler vers de nouvelles aventures

Au moment où nous préparions ce voyage, il n'y avait pas beaucoup d'informations sur l'Est Groenland, donc on pose ici notre "bilan", qui pourrait servir à d'autres.

La navigation vers l'Est Groenland ne s'improvise pas. L'accès à la cote est difficile à cause de la glace et la météo souvent extrême entre l'Islande et le Groenland (passage fréquent de dépressions en dessous de l'anticyclone du Groenland). Une fois sur place, l'isolement et le manque d'infrastructure (hôpital, secours) peut rendre tout problème très critique. L'ouest du Groenland est mieux équipé, et l'archipel de Svalbard bien mieux équipé par exemple, car moins vaste.

Cela étant dit, l'Est Groenland est inoubliable, et aujourd'hui, on rêve d'y retourner. Les paysages sont à couper le souffle, et on est en fusion avec une nature sauvage. Une Norvège sous stéroïdes en somme. Une différence de taille est qu'un anticyclone se trouve souvent coincé sur le Groenland, donnant du meilleur temps qu'en Norvège (une fois sur place..).

Les fonds sont généralement de bonne tenue, souvent des sédiments charriés par les rivières et glaciers. En revanche, la bathymétrie est inconnue et parfois surprenante.

On peut prévoir de rester dans le coin du Sermilik et d'Angmasalik pendant plusieurs semaines, tant il y a de belles montagnes à explorer. Prévoir le matériel d'alpinisme (et de bivouac si l'équipage peut se scinder!). Les distances à parcourir en mer sont raisonnables (quelques dizaines de milles entre les points interessants). Le voilier donne une liberté incomparable, car on accède à tout par la mer, Bien mieux que les services de transport/aventure pour touristes qui sont efficaces, mais peu nombreux et très chers.

Il faut prévoir de toucher du cailloux ou de la glace, car les fonds sont très mal cartographiés, et les conditions de glace très changeantes. Le dériveur alu nous parait toujours le choix le plus rassurant (résistance au poinçonnement et ductilité de la coque). Après, on a croisé des quillards en bois ou plastique. Et on voit que les coques modernes en plastique tiennent apparemment bien le coup sur les cailloux. Mais bon, sachant qu'on est loin de tout...  

Concernant l'équipage, le mieux est d'être au moins trois personnes à bord. On a croisé quelques solitaires qui ont été faire un tour au Groenland Est, mais ils n'y restent généralement pas longtemps car c'est épuisant. Quand la navigation se complique, il faut être à la barre, à la carte/radar, dans le mat, et sur le pont pour pousser les glaçons...donc mieux vaut être >3, et être connectés par radio pour éviter de crier (pas efficace quand il y a du vent, fatiguant, et stressant).

Concernant l'équipement, quelques autres points que l'on a noté:

  • les échelons de mat sont très pratiques, car permettent de monter et descendre rapidement et en quasi-autonomie (reste l'assurage par des drisses qu'il faut sous-traiter),
  • radar indispensable, surtout au large car la présence combinée d'icebergs et de brouillard est fréquente.
  • une bonne autonomie en eau douce (ou dessalinisateur) mais surtout en gasoil est nécessaire. En effet, les points de remplissages ne sont pas légions au Groenland Est, les pontons et accès ne sont pas toujours adaptés au voiliers, et surtout, on n'est jamais à l'abri d'un carburant de mauvaise qualité. Donc moins on remplit, mieux c'est. Surtout qu'à cause de l'anticyclone et la glace, il ne faut pas avoir trop l'ambition de progresser à la voile dans les fjords
  • Tenues de guerre contre le froid: sous-vêtements en laine, duvet, et coupe vents étanches par dessus. Gants et bonnets chauds et étanches. Crocs+chaussettes étanches de cycliste quand temps sec, ou bottes fourrées de pêcheur sinon. Combi de survie pour tout le monde au cas où.    
  • Connexion satellite (Iridium) pour recevoir du guidage dans les glaces. Généralement le débit est trop faible pour télécharger les cartes des glaces, alors il faut quelqu'un de confiance à terre qui peut nous router. 
  • Fusées stylo rechargeables avec projectiles pour effrayer les ours. Et fusil puissant (calibre .308 par ex) à conserver absolument dans une housse pour éviter la corrosion. On rappelle que l'utilisation du fusil est a pour but de tuer l'animal en cas de danger imminent, quand tout le reste (planification, repli, intimidation) a échoué.
  • Il faut supposer qu'on ne pourra pas recevoir d'aide, donc prévoir une autonomie en réparations, pharmacie, etc...

Le bouquin High lattitude sailing par Jon Amtrup et Bob Shepton est une bonne référence.

 À bientôt pour de nouvelles aventures! 


Bye bye Kulusuk

Le Nord de Kulusuk vu d'avion

Le sud de Kulusuk (atterissage depuis le large) vu d'avion

 

dimanche 22 mai 2022

Au paradis

30 juillet

Nous trouvons un mouillage le long du coté Est du Sermiligaaq 66deg01.05’N,36deg23.79’W. Longue plage de sable fin, qui recouvre partiellement à marée haute. Les températures sont estivales, l’anticyclone aura bien bossé pendant notre séjour. 

31 juillet

Magnifique rando depuis notre mouillage, avec vue sur le Knud Rasmundsen et autre glaciers alentours. 

 





Après cette ballade, retour dans le fjord d’Angmagssalik. Bien encombré! Nous devons nous relayer en tête de mat. Il fait environ 10 degrés, et 15 noeuds de vent. Malgré toutes nos couches, c’est tenable pendant environ 1h-1h30 maximum. 

Nous mouillons dans une cuvette, 65deg41.63’N,37deg19.16W, bien protégée du Sud et de la glace.


 

Soleil de minuit vu du cockpit. Ca va être difficile à battre...


samedi 21 mai 2022

Les vestiges absurdes de l'Ikâteq

30 juillet

Soleil de minuit au mouillage


Nuit calme au mouillage, si ce n’est la colision à 4h du matin avec un growler, et le retournement de ce même growler quelques minutes plus tard à 10m du bateau. Il devait être en quête d’attention.

Nous partons pour l’Ikâteq, prolongement de l’Ikâsak. À eux deux, ils connectent le fjord d’Angmagssalik, avec le Sermiligâq, le troisième grand fjord Nord-Sud (avec le Sermilik) de la région.

Au milieu de l’Ikâteq, une ancienne base américaine, avec piste d’atterissage de 1.3 km pour faire décoller et atterrir des bombardiers. Elle est bien visible sur les photos sattelites de Google Maps par exemple. Elle servait de relais stratégique en carburant pendant la seconde guerre mondiale. 

Particularité: les américains ont levé le camp du jour au lendemain, en laissant à peu près tout sur place. Des milliers de futs de diesel, des camions, des générateurs, des poelles, un hangar, rouillent sur place depuis ce temps là. Les absurdités auxquelles poussent la guerre sont d’autant plus criantes quand elles apparaissent dans ce cadre idyllique. 

Marie devant quelques futs de diesel

Cheminée

Hangar

Camion

Nous levons l’ancre pour arriver dans le Sermiligaaq, dont nous partons explorer la cote Nord. Magnifiques proportions, quelques milles de large, et embouchure sur l’océan visible depuis le fond du fjord. On a l’impression d’être sur un grand lac. Passons près du Knud Rasmundsen gletcher, où nous croisons 7 kayaks de mer (une ou deux places), et repérons un grand nombre de courses possibles.


Kayaks de mer près du glacier Knud Rasmundsen

Du Tasilaq au Sermiligaq


vendredi 20 mai 2022

Le village de Kûngmit

29 juillet

Avant de quitter le mouillage de Tasilaq, nous remplissons jerrycans et vaches à eau dans la petite rivière qui avoisine le mouillage. Environ 70L par voyage. L’eau est extrêmement claire. Il est plus conseillé de recueillir l’eau dans les rivières que dans les villages.

Nous levons l’ancre et partons pour le village de Kûngmit. 

Changement radical par rapport aux autres villages que nous avons visités jusqu’ici. Moins d’ordures dans les rues (reste la traditionelle décharge), maisons mieux entretenues, quai en bon état.

Reste que les rares inuits à nous adresser la parole sont bien alcoolisés. Ils nous demandent d’où nous venons, et question déroutante pour nous: pourquoi sommes-nous là, qui y a-t-il de si intéressant à voir?

Nous rentrons au bateau avec un sentiment un peu partagé concernant notre impact sur ces communautés. Il y a un gouffre entre l’ancienne génération et nous, et nous leur rappelons peut-être le colonisateur danois. Quant à la nouvelle génération, ne représentons nous pas pour elle la tentation, la richesse, les envies de quitter le pays? 

D’autant plus que, sauf rares exceptions (Mat à Kulusuk, par exemple), le tourisme ne fait pas vraiment vivre les locaux. Ne sommes nous simplement pas une nuisance?


 

Des enfants qui tendent un piège

Quelqu'un se fera-t-il piéger...

Portée de chiots

Le cimetière de Kûngmit, aux abords du village

Les trampolines sont arrivés jusqu'ici!

Couleurs


Nous quittons Kûngmit, et remontons le bras Ikâsak vers le fjord du Tuno, plus à l’Est. Lors de notre slalom entre les glaces, et dans le courrant, passage chaud: nous passons entre une plaque dérivante et un growler. Je suis à la barre et mets les gaz. Le growler vient s’écraser sur la plaque quelques mètres derrière notre tableau arrière. L’énorme fracas nous fait penser qu’il valait mieux ne pas être entre les deux, même avec une coque alu…

jeudi 19 mai 2022

Les pêcheuses de Tasilaq

 28 juillet

De Tiniteqilaq au fjord de Tasilaq

 

Nous mouillons dans le fjord de Tasilaq (rien à voir avec la capitale du Groënland Est), tout au fond du fjord d’Angmagssalik. Le mouillage est à l’entrées du Tasilaq, dans une petite anse abritée du Sud, dans 20m de fond, donc il faut avoir de la chaine. 

Trois femmes pèchent, et relèvent un filet tendu près de la cote. Une mère, sa fille et sa petite fille. Nous les rejoignons et discutons en anglais avec la fille. Elles vident les saumons dans leur barque. Le poisson sera séché ou congelé, puis vendu.

Nous grimpons environs 200m pour apprécier la vue sur le Tasilaq qui s’étend 5 milles vers le Nord. Retour par une jolie plage. 

 

Rare moment sous spi! avec du bon vent dans la bonne direction, sans trop de glaces à éviter


Conditions rêvées de navigation, rares.

Mouillage à l'entrée du Tasilaq

 

mercredi 18 mai 2022

Redescente de l’Ikesartivak vers le port de Marie

 

Résumé des épisodes précédents: atterrissage à Kulusuk, remontée de l'Ikesartivak (SE-NW), traversée du grand fjord Sermilik vers le glacier Brückner, et retour vers Tiniteqilaaq

27 juillet

Deux baleines à bosse passent à une dizaine de mètres de notre bateau, juste après notre départ du mouillage, dans le passage entre le Sermilik et l’Ikopartivak. Il y a beaucoup de courant, et marée descendante, peut-être les meilleures conditions pour en observer ?

Nous redescendons l’Ikesartivak (NW-SE) sous le soleil. 

Idée rando: d’Asingaleq à Imilâ. Une partie de l’équipage se fait déposer dans le premier, et se fait récupérer dans le second. Une dizaine de km parcourus de lacs, une trentaine de milles en passant par les fjords.

Nous remontons sur quelques milles le fjord d’Angmagssalik (on frole la cote Ouest, la partie la plus praticable niveau glace), et jetons l’ancre dans Marie Havn (le port de Marie!), dans l’Ouest du fjord. Le fond a une topographie similaire à celle indiquée hier. Il faut arriver doucement et par le coté de la rivière.

10-15 noeuds soufflent à notre arrivée. Nous partons pour l’ascension du petit sommet entre le fjord Angmassalik et Marie Havn. Le vent disparait soudain. Alors arrivent les moustiques, qui vu leur acharnement, n’ont pas du voir de sang frais depuis longtemps. La redescente est rapide. On saute dans l’annexe et se réfugie dans le bateau. Goïot fournit les moustiquaires adaptées au hublots, merci. Nuit calme. 

 

Un escargot croisé sur le chemin

Mouillage, vu depuis la montée

Thomas en ballade

Olena en ballade

Soleil de minuit sur Marie Havn

mardi 17 mai 2022

Johan Petersen et ses petits bras

 La journée du 25 juillet se passe au mouillage dans la brume et la bruine.

Eric et Olena on the rocks

Héliport
 

Le 26 juillet, on se lève tot pour embouquer à marée haute un étroit passage entre Tinitequilaaq et le Sermilik. 1.4m sous la coque, tout au plus (quillards, s'abstenir). Un poil chaud mais ca passe.

Nous redescendons le Sermilik sous le soleil, en direction du fjord Johan Petersen (voir carte sur article précédent). Les icebergs font plusieurs centaines de metres de long, et plusieurs dizaines de metres de haut.

Remontons le Johan Petersen. On se faufile entre les icebergs et les growlers jusqu’à environ 5 milles du fond du fjord. Magnifique journée, soleil et pas un souffle de vent. Ballade en tête de mat pour inspecter les environs: aucune végétation, aucun animal, juste du caillou rose et gris, de l’eau et de la glace. 

Nous faisons une pause au pied du glacier Brückner (Brückner Gletscher, voir carte). L’ensemble des glaciers qui forment le fond du fjord culmine à 800m et vèle sur environ 1km de large. On entend très souvent de puissantes déflagrations dues à la fracture de la glace. Monumental. Les glaciers que nous avions vus à  Svalbard paraissent minuscules. Et dire que les glaciers d'Antartique sont encore plus grands!

 


C'est vous qui avez l'esprit mal tourné


Gabier de misaine

De l'intérêt d'observer de haut. Ce genre d'excroissance sous marine n'est pas visible depuis le pont. Donc guidage depuis le nid de pie obligatoire.

Arrivée sur les glaciers

 


Nous redescendons le fjord Johan Petersen et embouquons un petit bras qui donne sur le Stoklund (voir carte). C'est un petit fjord qui parait très protégé et calme, sans trop de glace, avec de multiples bras qui s’étendent vers le Nord. 

Pour regagner le Sermilik (le grand fjort Nord-Sud) depuis le Stoklund mais sans repasser par le Johan Petersen fjord, nous prenons un raccourci. Le passage est scabreux, beaucoup de glace, au moins 3/10 de surface d'eau couverte, ce qui est très limite. Il y de plus très peu de fond, et la cartographie particulièrement imprécise en ce qui concerne la bathymétrie (en revanche, la position des cotes est plutot précise, pour une fois). On y arrive après avoir changé 3 fois de stratégie.

Nous retraversons le Sermilik et mouillons dans une jolie baie au Sud de Tiniteqilâq. Comme observé plusieurs fois auparavant, les sorties de rivières charient des sédiments, ce qui donne une bathymétrie comme indiquée sur le croquis ci dessous. Disons qu'une approche dans l'axe de la rivière est déconseillée!

 

Bathymétrie "typique" à l'embouchure des rivières chariant des sédiments. Le gradient de profondeur est extrêmement violent dans l'axe de la rivière (de 40m à 1m en quelques longueurs de bateau), et plus doux sur les cotés.

lundi 16 mai 2022

Kulusuk - Tiniteqilaaq, dans le vif du sujet

24 juillet,

Avons mouillé cette nuit dans une cuvettes près de Qualersartaqarte à quelques heures de navigation de Kulusuk. 

Six mètres de fond à l’arrivée (marée haute) et 3m à marée basse. On met une ancre sur l’avant et deux lignes isocèles qui partent de l’arrière, et sont accrochés sur des pitons que nous enfonçons à la masse dans des failles de la roche.

Ballade à terre, test du fusil (protection des ours) et des tireurs. Visite d’un petit hameau innoccupé. Les trois maisons qui le composent sont en revanche ouvertes, et équipées. Bon refuge en cas de coup dur.

Notre mouillage
Entraînement de tir au fusil

"Coucher" de soleil
 

Ce matin, lever à l’aube car il faut profiter de la marée haute pour sortir de notre mouillage (les profondeurs sont incertaines...). Coup de chance, nos lignes à terre auront barré le chemin à des growlers qui auraient pu nous embêter. Dans ces contrées, on n'est jamais très loin d'une petite aventure de ce genre.


 

En route pour Tiniteqilaaq et sur le Sermilik

Tiniteqilaaq est situé sur la rive Est du Sermilik, le grand fjord Nord-Sud visible sur la carte

Nous remontons (20 milles) le Ikasartiuaq, un long canal orienté NW entre le fjord d’Angmagssalik au sud et le grand fjord de Sermilik au NW. De part et d'autres, des parois abruptes, comme en Patagonie.

Note pour plus tard: on repère un possible mouillage dans 6m de fond, protégé du SE, au 65d48.8N,37d20.6W. De l’autre coté de la langue de terre, mouillage jumeau protégé du NW. Peu de place pour éviter en revanche, mais probablement OK car le vent reste souvent dans l’axe du fjord. À essayer. Deux autres mouillages possibles en sortie de rivières vers 65d55.8N,37d39.9W et 65d54.4N,37d43.1W. 

 

Marie la tete dans les nuages

Nous mouillons en face du village de Tiniteqilaaq. Ballade à terre. Ambiance radicalement différente de Kulusuk. Peut-être parce que le village est (encore) plus isolé, l’alcoolisme fait des ravages plus apparents qu'à Kulusuk. Lundi 18h, nous croisons trois inuits clairement alcoolisés qui tentent d’engager une embarrassante conversation. Tragique de voir comment ce peuple inuit a été “civilisé”. Son mode de vie actif (chasse/pèche), a été remplacé par un autre plus passif (subventions/marchandises importées du continent). L’oisiveté et l’alcoolisme subventionné par l’état danois en sont les conséquences.

Les collines de Tiniteqilaaq surplombent le Sermilik, un large fjord qui charrie de gigantesques icebergs, vêlés de trois glaciers différents en bout de fjord. Leur taille est comparable à celle des icebergs que nous avons rencontré au large (qui nous paraissaient gigantesques), Sauf qu'ils sont ici à la queue-leu-leu dans ce fjord qui semble trop petit pour eux. Ils le descendent patiemment, en quête de grands espaces!


Village de Tiniteqilaaq. La taille des maisons donne l'échelle des icebergs dans le Sermilik